Stéphane Modena

Vortex

Le Tanger en poésie d’Ali Benezi

  • I
    Happé par le tourbillon des rues escarpées
    Où s’étalent tours arrimées et masures centenaires
    j’arpente tes artères où s’engouffrent
    les soubresauts du moindre flot de mer
    le vent du large me rappelle
    le lointain souffle du vendavel
    qui porte l’écho des plaintes alcyoniennes
    Tes murs éraflés par les stigmates de tant de vies manquées
    Saintes blessures que le temps couvre avec peine
    réveillent en moi les résidus des pâles regrets
    Jadis les palmiers avenants reflétaient l’éden
    à présent flétris comme ces jours joyeux d’insouciance pétris
    où je tentais d’exister à chaque instant
    Parcelles d’éternité
    Les allées grouillant de vie les enfants joyeux et leurs cris
    ne peuvent étouffer tes sanglots muets
    Ta chair de bitume éventrée par l’avidité des hommes
    laisse apparaître un corps peu glorieux
    les autobus blafards d’un bleu offensant l’azur sans tâches
    traînent leurs carcasses immenses
    Mastodontes de tôles encrassées gémissez pour moi
    Les bennes défoncées déversent sur ton corps de pestilentiels cadavres
    n’attirant même pas la plus aguerrie des vermines
    et pourtant tu ne prives personne de ton étreinte
    telle la mère trop aimante que ses enfants éreintent
    ingrats et veules épuisant tous les fruits de sa divine patience
    De nouveau l’odeur d’Iris enbaume ma raison
    (preuve que le Très-Haut veille toujours sur le salut des aveugles
    – qui s’en soucie ?)
    m’apparaît encore ce doux visage qui transcende les saisons
    semblant surgir d’une aurore impérissable
    mais toujours demeure lointain…
    Tout ce qui constitue ce semblant de vie s’évanouit
    ne reste que sa Lumière
    sa pure et diaphane Lumière.

    © Stéphane Modena
  • II

    © Stéphane Modena

    Longeant l’avenue opulente où s’affalent le corps des badauds
    imposants sur les chaises branlantes des tripots
    sous la pâle lueur (artificielle, toujours) des faisceaux –
    obscure parodie de l’aurore qui broie l’âme délicate du poète-
    s’agitent fragiles oripeaux
    les voiles colorés d’attirantes proies
    attrayantes et faciles
    pour les regards qui lorgnent un semblant d’idylle
    Moi même je l’avoue je me suis attardé si souvent
    sur la beauté des traits harmonieux
    reflets de l’Unité passée
    la fraîcheur enveloppante des yeux
    dans un regard furtivement croisé
    gestes suaves qui agitent les plis des tissus froissés
    emprisonnant les formes
    je devine la douceur des peaux candides
    sitôt cette douceur devenue voile sur mon coeur
    je sens se refermer le piège de l’envie éphémère
    des plaisirs trop terrestres qui fatalement dépérissent
    extirpé de sa trame passagère
    quand d’autres restent figés sur la toile des illusions
    je ne pense qu’à l’Éternité
    que reflète la Beauté toujours présente

    Tel falot insignifiant aspirant au Ciel
    (médiocre mais conscient de l’eden oublié
    tiraillé par l’Infini, transparaît dans l’azur béant)
    Oui ! je veux embrasser l’Azur
    me fondre dans sa claire immensité
    je ne veux pas mourir enchaîné
    noyé sous les remous du temps qui nous tue
    ployé sous le tumulte affolant de la ville Je ne reconnais plus rien
    ni mon père ce pieux mystère
    ni ma mère sainte chimère
    je ne reconnais plus rien

  • III

     

    Les trois chiffres du Nombre solaire
    Comme un message venu de l’Éther
    Tant de fois paraissent à travers
    ce fracas de fumée et d’acier
    les soliloques incessants des engins peinturlurés
    Recèlent d’indicibles secrets
    Les chars noirs des Pharaons me poursuivent
    sur l’asphalte je glisse hors sol sans racines ni terre
    privé de la céleste patrie leurs yeux aveuglants me hantent
    de l’océan et la mer viendront les vagues déferlantes
    engloutiront leur orgueil et leur gloire fuyante
    Les rues grouillent d’envie et se parent d’ennui des gestes de la foule empreints d’inanité elle se hâte se démène pour de vains lendemains
    fuit les ultimes râles du vieux monde qui s’éteint

    © Stéphane Modena