Un petit manifeste. D’abord pour des mots délogés. Les vocables au pouvoir renoncent au pouvoir. Les palabres dénigrées sont sur les places publiques acclamées. Nous voulons un langage libre, qui ne fait parade pour personne, dans lequel il n’y a que des hommes debout, chacun parlant pour lui-même.

Car dans ce bout de terre brûlé, les mots ne nous appartiennent pas. Ils ont été cédés à quelques hommes bien nourris en échange de quelques miettes de pain. Depuis que l’on a vendu nos mots, l’on cultive docilement le silence, satisfaits du profil de nos ventres. Mais personne ne nous avait dit que l’on avait vendu nos rêves avec.

Et le fouet prit la place de ces rêves ajournés. Palabres volées et nos voix, tordues, déviées ou confisquées. Une chair dévorée par la violence qui se panse et se pense à coup d’ailleurs et de procurations. Une culture qui se traficote dans les dires d’emprunts ou se torpille en rejetant ses dialectes, toujours à contre-courant, souvent à bout de forces.

N’est-il pas enfin temps de récupérer ces mots ? Refuser de les voir couverts de sang. Se panser par soi-même, face à un miroir, qui ne laisse place ni aux fantasmes ni aux essences. Regarder, scruter avant de poser des mots sur les choses, plutôt que de s’en encombrer comme prémisse. Donner une sorte de simplicité et de légèreté aux mots pour aboutir, enfin, à un début de vérité. Prendre les mots pour écrire des palabres qui sont autres, s’essayer à une langue littérale qu’ils disent commune et y arracher des mots pour les pétrir de nos accents et de nos angoisses.

Et surtout, surtout se penser sans les fards et les freins qui cadenassent et emprisonnent: orientalisme, occidentalisation et toutes ces prisons qui ont verrouillé nos réalités.

L’orientalisme efface nos complexités et nous réécrit en quelques mots. Mais le Monde Arabe n’est ni hummus, ni couscous, ni désert. Ce n’est pas un contenu en soi, une essence. Un Arabe n’est ni paresseux, ni chaleureux, ni futile. Les arabes sont. Nous sommes des réalités fissurées mais aussi des avenirs en mouvance. Comme tous les autres. Et ce sont ces « sont » dans toutes leurs variétés que nous voulons dire, librement, sans chercher à suivre le sillon des attentes et des mystifications, qu’elles viennent d’ici ou d’ailleurs. Et ce sont ces arabités multiples et entremêlées qu’il faut écrire, pour que le mot « Arabe » cesse d’être une prison. Ce sont ces réalités qui s’écoulent, se noient et s’effacent qu’il faut griffonner.

L’Occident nous dit, nous nous disons contre lui ou avec lui, mais comment dire autrement qu’à lui ? Nous dire dans nos existences d’Autres tâtonnants entre les territoires, richement Autres, et non pas négativement Autres ? Non pas Autres de quelqu’un qui serait le Centre tandis que nous serions sommés au rattrapage.

Autres presque absolument, avec ce droit fort de différer, en germe sur chaque langue, enfoui dans chaque bouche, à l’aube de son dire, juste avant qu’elle prononce, comme une sommation. Dis ! Lis ! Iqra’ ! C’est là pourtant une scansion si familière.

Se dire, se lire et s’écrire avec le temps. Le travailler au lieu que ce soit lui qui nous travaille. Évoquer aussi l’espace, les espaces, ceux des exils, des rues étroites de nos villes.

Regarder nos rides et nos cicatrices sans frémir. Ne pas chercher à trancher un pan ou un autre de nos histoires, de nos sociétés, de nous-mêmes. Accepter les sillons du passé et faire de ces creusets les chemins de lendemains. Se dire dans une hybridité, mélancolique et joyeuse. Une imprécise substance qui invite à tous les détournements. Une certaine idée du mouvement, une certaine idée de l’histoire et de la politique – charnelle et qui ne s’apaise pas- une certaine manière d’être perdus et de reconnaître cette confusion comme une situation en soi. Une situation à dire. A écrire.


َAsameena, nos noms.

Nos noms parce qu’ils sont plusieurs, infinis, sans cesse fruits de nos existences. Nos noms mouvants, qui glaçent puis explosent. Nos noms, toujours vissés à la bordure de nos lèvres, enfants de nos sens, enfants de nos vies. Nos noms parce que nous sommes pluriels, que chacun a une histoire à semer, que toutes les voix se doivent de retentir. Parce qu’il revient à nous tous de les dire, de les faire retentir dans le silence figé des images. Mots amers, mots brûlants, tendrement nôtres.