Le Tanger en poésie d’Ali Benezi
I
Happé par le tourbillon des rues escarpées
Où s’étalent tours arrimées et masures centenaires
j’arpente tes artères où s’engouffrent
les soubresauts du moindre flot de mer
le vent du large me rappelle
le lointain souffle du vendavel
qui porte l’écho des plaintes alcyoniennes
Tes murs éraflés par les stigmates de tant de vies manquées
Saintes blessures que le temps couvre avec peine
réveillent en moi les résidus des pâles regrets
Jadis les palmiers avenants reflétaient l’éden
à présent flétris comme ces jours joyeux d’insouciance pétris
où je tentais d’exister à chaque instant
Parcelles d’éternité
Les allées grouillant de vie les enfants joyeux et leurs cris
ne peuvent étouffer tes sanglots muets
Ta chair de bitume éventrée par l’avidité des hommes
laisse apparaître un corps peu glorieux
les autobus blafards d’un bleu offensant l’azur sans tâches
traînent leurs carcasses immenses
Mastodontes de tôles encrassées gémissez pour moi
Les bennes défoncées déversent sur ton corps de pestilentiels cadavres
n’attirant même pas la plus aguerrie des vermines
et pourtant tu ne prives personne de ton étreinte
telle la mère trop aimante que ses enfants éreintent
ingrats et veules épuisant tous les fruits de sa divine patience
De nouveau l’odeur d’Iris enbaume ma raison
(preuve que le Très-Haut veille toujours sur le salut des aveugles
– qui s’en soucie ?)
m’apparaît encore ce doux visage qui transcende les saisons
semblant surgir d’une aurore impérissable
mais toujours demeure lointain…
Tout ce qui constitue ce semblant de vie s’évanouit
ne reste que sa Lumière
sa pure et diaphane Lumière.II
Longeant l’avenue opulente où s’affalent le corps des badauds
imposants sur les chaises branlantes des tripots
sous la pâle lueur (artificielle, toujours) des faisceaux –
obscure parodie de l’aurore qui broie l’âme délicate du poète-
s’agitent fragiles oripeaux
les voiles colorés d’attirantes proies
attrayantes et faciles
pour les regards qui lorgnent un semblant d’idylle
Moi même je l’avoue je me suis attardé si souvent
sur la beauté des traits harmonieux
reflets de l’Unité passée
la fraîcheur enveloppante des yeux
dans un regard furtivement croisé
gestes suaves qui agitent les plis des tissus froissés
emprisonnant les formes
je devine la douceur des peaux candides
sitôt cette douceur devenue voile sur mon coeur
je sens se refermer le piège de l’envie éphémère
des plaisirs trop terrestres qui fatalement dépérissent
extirpé de sa trame passagère
quand d’autres restent figés sur la toile des illusions
je ne pense qu’à l’Éternité
que reflète la Beauté toujours présenteTel falot insignifiant aspirant au Ciel
(médiocre mais conscient de l’eden oublié
tiraillé par l’Infini, transparaît dans l’azur béant)
Oui ! je veux embrasser l’Azur
me fondre dans sa claire immensité
je ne veux pas mourir enchaîné
noyé sous les remous du temps qui nous tue
ployé sous le tumulte affolant de la ville Je ne reconnais plus rien
ni mon père ce pieux mystère
ni ma mère sainte chimère
je ne reconnais plus rienIII
Les trois chiffres du Nombre solaire
Comme un message venu de l’Éther
Tant de fois paraissent à travers
ce fracas de fumée et d’acier
les soliloques incessants des engins peinturlurés
Recèlent d’indicibles secrets
Les chars noirs des Pharaons me poursuivent
sur l’asphalte je glisse hors sol sans racines ni terre
privé de la céleste patrie leurs yeux aveuglants me hantent
de l’océan et la mer viendront les vagues déferlantes
engloutiront leur orgueil et leur gloire fuyante
Les rues grouillent d’envie et se parent d’ennui des gestes de la foule empreints d’inanité elle se hâte se démène pour de vains lendemains
fuit les ultimes râles du vieux monde qui s’éteint