Langues de la ville


Langues de la Ville est un recueil de poésie signé Ismaël. Vous retrouverez toutes les deux semaines un poème accompagné d’une photo prise par l’auteur.


  • Je crois en la Parole.

    Si je devais un jour m’agenouiller devant un dieu quelconque, ce ne sera que devant sa toute impuissance, la blanche. A attiser le feu. A surprendre le nuage, et lui servir à boire. Au sang irrégulier, son inconscience viscérale. Elle ne nourrit pas son homme, la désaxée, ni n’enlève la fièvre sous son crâne. Insensée, quoi qu’il en soit, toujours lointaine, mais en même temps, à la mémoire massive, presque concrète, de la pierre dans le ruisseau.
    Je crois en sa tragédie. Essentielle. Perpétuelle. Organique.

    Autre. La laisser traverser. Sourdre de soi. Ne pas la retenir. Recueillir la trace multiple. En faire un feu. Invoquant son retour. Peut-être alors l’éclat de l’étoile, perdu. Sera Poésie. Ou bien, tout autre théorème de l’utopie.

    © Ismaël

    Elle avait confié au creux de ma main, un secret d’elle. Mais je l’ai ouverte, le laissant, couler. Car quand je l’ai enfin regardé, quand j’ai pris conscience d’elle, j’ai su, j’ai su que l’ombre sera aiguë. J’ai su que demain, n’aura pas d’oiseau dans la bouche. Alors j’ai laissé couler le secret d’elle, pour faire couler son visage. Sans voix.

    Et quand l’heure de s’en aller arrivera, je n’emmènerai avec moi que quelques paroles que j’aurai peut-être su garder. Que j’aurai, je l’espère, acclimaté aux paumes de mes mains. Que j’aurai couvert de mon ombre, les vieilles, les ancestrales, après-midi de sirocco.

    Les paroles, elles m’appelleront d’un prénom que je ne connaîtrai pas, qui est le mien. Elles m’accompagneront, les blanches, joyeuses, sautillant de l’un de mes deux yeux à l’autre, dans la nuit du corps, d’où ne revient, qu’elles-mêmes ne savent pas encore nommer.

  • 160607

    Est-ce que nous aurions donné un nom à cette étendue impalpable au-dessus de nos têtes si elle n’était peuplée de ces trous de lumières éparpillés comme des miettes de pain après le repas, un soir de retrouvailles, sur une nappe repassée avec affliction ?

    Si les étoiles donnent chair au ciel, alors, les femmes donnent chair à l’homme – toutes les femmes – et les hommes donnent chair à la femme – tous les hommes – et les femmes donnent aussi chair à la femme – toutes les femmes – et les hommes donnent aussi chair à l’homme – tous les hommes – sans frontières, pas même celles de la peau. Et tous les pays, sans frontières, pas même celles de l’océan, me donnent chair. L’exil n’est, qu’en mémoire de la mort.

    C’est dans tous les yeux que j’ai bâti une demeure d’eau ; c’est sur toutes les terres que j’ai ramassé un caillou, et que j’en ai jeté un autre. L’identité de l’arbre, ce ne sont pas ses racines, mais ses feuilles qui naissent en automne, et vivent en altérité.

    Pas un miroir, une fenêtre cassée.

    Un samedi à cinq heures du matin.

    © Ismaël

  • 280607

    Pour Y.

    UNICITE.

    Désirer, ne plus faire qu’un. S’enfuir, ou bien peut-être, s’enfouir, en lui, ou bien peut-être, en elle. Il s’agirait, de piéger l’éclipse, d’en faire une image, sûrement celle d’un puits. Ne plus faire qu’un, indivisible, inséparable de lui-même. Tout, rempli de son propre tout. Miroir dans un miroir. Ni même un reflet, ni même une ombre, cécité du reflet. Encore moins un visage, dont on puiserait, non pas l’eau. Mais une sœur encore inconnue. Impuissante à immerger les vides. Noire. N’épousant aucune forme humaine. A la fois si lointaine, et si proche. De ce que nous pouvons imaginer de l’invisible. Encore moins une main, dont le secret, se réinvente, chaque pleine lune. Toujours le même. Toujours différent. Comme le chant du loup. Il se réinvente, régénérant la substance de la main. Sa calligraphie de sable mouvant. Encore moins la conception immaculée du sang dans le corps à jamais nouveau de la femme. Rien. Miroir dans un miroir. Rien.

    Etre le 1. Monoérotisme. Massif.

    Ainsi. Refuser l’enfant. Nier l’enfant, jusqu’à nier l’idée même de sa possible enfance. L’enfant est la perpétuation de soi, excrémentielle et pathétique. Raciale et assassine. Assassine, de l’altérité. Assassine du chat, de l’arbre, du nuage. Des alphabets qui se sont dispersés, aux quatre vents.

    Refuser l’enfant. Se perpétuer par les autres. Et perpétuer les autres par soi. Perpétuer les infinis. Par les infinis. Aux infinis. Nous n’y aurons que ces matières pour empreintes. Que les différences pour miroirs. Que les nuits pour demeures. Que les étoiles pour paroles.

    © Ismaël

    La ville. Cette nuit, compacte. Un pain. Nous n’en connaissons aucune autre, à hanter par nos cris. Ni, à traverser, à rebours, de nous-mêmes. Ici, nous nous sommes noués. Dans le sens contraire des aiguilles d’une montre. Ici, une fois l’oiseau aura quitté l’arbre, nous emporterons nos corps, à réapprendre le goût de la pierre. A se dévêtir de l’empreinte. Ici, finit par se fermer. L’étoile et. Commence, la mémoire.

    Ne préméditons rien qui soit réalisable.

    Un jeudi à midi et quinze minutes.

     

  • 060707

    Il l’a quittée depuis un an. Parti à la recherche, des cailloux, des éclats. Il n’a pas retroussé ses manches. Avant d’immerger ses bras, dans la terre. La mémoire. En croyant pouvoir déraciner les mauvaises herbes. Dans chaque caillou. Ramassé du rêve. Il a entendu sa voix, couler. Dans chaque éclat. Cueilli de l’arbre. Il a entendu un écho. Un écho, qu’il n’a pas encore réussi, à retenir dans le creux de sa main. A planter dans les yeux, du premier inconnu. Des grenouilles avaient sauté, dans ses yeux. Par milliers. Il ne buvait l’eau, qu’à la lueur d’une bougie.

    © Ismaël

    Il y a un an, en partant, il a déchiré une page. Il n’a pas su. Quel goût peut bien avoir la rivière. Peut-être. Celui des prostituées, qu’on y a noyé. En les jetant du haut des ponts. Dans ses bagages. Il avait emmené. Une femme un chat et un soleil. Tous trois réfractaires, ils faisaient partie de la même famille. Ou de la même main.

    Il a été sa femme. Elle a été sa femme. Toutes les deux elles ont été. Des hommes. La nuit il, levait, les yeux. Pour la regarder dans ses fenêtres. Elle baissait ses volets pour le regarder. Dans les rêves. Elle ouvrait ses portes le jour, venu. A la senteur du café. Il lui ouvrait son ventre, elle y prenait place. Naturellement. Elle s’étalait elle sommeillait. Ou bien, elle laissait éclater ses bourgeons…

    Il n’a osé cueillir, d’elle, que certains, mots. Qui se répètent depuis, avec son accent à elle. Comme des saisons primitives dans sa bouche. Il ne sait pas. S’il pourra jamais aimé. Un homme. Ou. Une femme. Autant qu’il l’a aimée, elle.

    TOULOUSE

    Un vendredi à vingt trois heures.

  • 140707

     

    Je n’ai d’autre chevelure, à tresser d’azur. Que celle de la nuit. Tombant, opaque, et malléable, sur le jasmin du mur. Son image. Le miroir n’est pas un miroir. S’il consent à la forme. Et la nuit, n’est pas nuit. Si elle ne tombe, que sur sa propre image. La mort est perpétuelle. Tresser la nuit. Briser le miroir. Ce n’est que faire trembler l’invisible. Ce n’est que chatouiller l’arbre, lorsque le désir du fruit cueille la faim. Déraciner la perpétuation, en lieu et place, laisser l’inconnu germer. Le seul travail de la terre, qui vaille la peine d’oublier l’horizon.

    Je n’ai aucun devoir de mémoire, sauf celui du rêve. Sauf le devoir de verser au sommeil, à boire, à se désaltérer, du nuage. Les nuits sont faites du même rêve exactement de la même manière, que les mers sont faites de la même eau.

    Peut-être la mémoire du rêve, est-elle le sommeil de l’altérité.

    Peut-être le sommeil se meut-il dans le rêve.

    Peut-être les inconnus que nous croisons en rêve, sont-ils perdus dans notre sommeil. Ou bien peut-être sommes nous, perdus dans le leur.

    © Ismaël

    Peut-être l’homme qui a cherché toute sa vie, la femme qu’il a aimée en rêve, savait-il, lui, qu’elle était endormie, comme lui, qu’elle s’était éveillée, aussi. Peut-être espérait-il qu’elle le chercherait, aussi. Et qu’ils finiraient, par se perdre, l’un dans l’éclat, de l’autre.

    Peut-être le rêve est-il l’au-delà, du feu.

    Je n’ai pas d’étoiles, à éplucher. Elle ne m’a laissé, qu’une ombre, inhabitable, dans la bouche.

    Un samedi à minuit et dix minutes

  • 230707

    Que dire. A la bouche, pour qu’elle s’ensable ?

    Que dire.

    Pour qu’elle désire la grêle ?

    Défaire ses tresses, vespérales. Au moment du plus improbable oubli. En elle, l’écho se fait corde. Que dire à la bouche, à propos de l’absente ?

    Que lui apprendre d’autre, alors. Qu’elle sait. L’océan. L’océan et sa langue ? Quant au réel, il souhaitera que la bouche ferme les yeux. De temps en temps. Sur le chant. Ou qu’elle regarde ailleurs. Que lui apprendre alors qu’elle sait déjà ?

    Que dire à la bouche pour qu’elle ne pleuve plus.

    Ne te contente pas. Régénère-toi par la mise à mort de ton corps, dans un autre corps. Régénère-toi. Organiquement. Par la mémoire de l’invisible.

    © Ismaël

    Tu n’as pas le droit de baisser les bras tant qu’ils n’ont pas noyé le soleil. Tu n’as pas le droit de quitter la pierre tant que tu n’y as pas puisé de l’eau. Tu n’as pas le droit de ne plus être enfant à chaque pleine lune tant que tu n’as pas allumé un feu pour les animaux des bois.

    Faire à deux. Le ciel et la terre, à son image. Que puis-je te dire qui n’a été dit ?

    Je t’ai faite à partir de la source. Parallèle au chemin, du moineau. Tu es à moi. Irrévocablement. Car je suis à toi. La nuit, attend. Le jour. Viens, mon enfant.

    Un samedi à midi.

     

  • 051007

    Pour Benjamin, mon frère.

    Avec une pensée pour Maya Jribi & Néjib Chebbi.

    Le soleil. Est sa propre faim. Sa propre, soif. Il ne sème rien, que son mutisme. Mouvant, comme la langue du sommeil.

    Ses yeux boivent, la seule cécité, bourgeonnant, de ses yeux.

    Il n’entend pas. Le soleil. La lumière sourdre et dormir sur l’herbe. De sa propre eau salée. Il n’entend, que l’écho, de l’éclipse à l’intérieur de sa peau.

    © Ismaël

    Tu as appris du vent, la manière d’éplucher. Les dernières peaux mortes à la surface de ta peur. Sa manière de lacérer, de lécher, de lamper. De sur les yeux qui désirent l’oubli, les poussières ancêtres. Tu as appris, tu as appris l’étoile, par cœur. Tu as caressé la parole jusqu’à ce qu’elle s’effeuille. Sous ta peur. Jusqu’à ce qu’elle rejoigne la neige. Cassée par le feu. Jusqu’à ce qu’elle la rejoigne, dans le rêve. De l’arbre.

    Que t’écrire ? Toi qui as faim. Qui sème ta faim. Toi qui te meures de ta propre faim. Que t’écrire ? Toi qui récoltes la faim. Toi qui te survie à ta propre faim.

    Un vendredi à treize heures et quinze minutes.

  • 151107

    Pour Bertrand C.

    Avec une pensée pour Marie T.

    M’entends-tu ? Lève-toi. Parle. Il fait froid. Sous tes paupières. Un nuage passe sous ta peau. Tu as froid et j’ai froid. Tu n’es plus eau. Nous nous neigeons l’un dans l’autre. Et tu as encore plus froid. Et j’ai encore plus froid. M’entends-tu ? Lève-toi. Parle. Il fait froid. Sous tes paupières. Un nuage passe sous ta peau. Me sens-tu ? Attends-moi. Fait-il froid, là-bas. Aussi ? Ta main s’effrite comme la lumière d’une étoile dans un ciel d’été. Ta langue ne fend pas dans ma bouche. M’entends-tu ? Lève-toi. Parle. Il fait froid. Sous tes paupières. Un nuage passe sous ta peau. Me sens-tu ? Entrailles de tes entrailles. M’entends-tu ? Lève-toi. Parle. Il fait froid. Sous tes paupières. Un nuage passe sous ta peau. Tu as froid et j’ai froid. Tu n’es plus eau. Nous nous neigeons l’un dans l’autre. Et tu as encore plus froid. Et j’ai encore plus froid. M’entends-tu ? Lève-toi. Parle. Il fait froid. Sous tes paupières. Un nuage passe sous ta peau. Me sens-tu ? Attends-moi. Fait-il froid, là-bas. Aussi ? Ta main s’effrite comme la lumière d’une étoile dans un ciel d’été. Ta langue ne fend pas dans ma bouche. M’entends-tu ? Lève-toi. Parle. Il fait froid. Sous tes paupières. Un nuage passe sous ta peau. Me sens-tu ? Entrailles de tes entrailles. Je ne te vois plus. Où es-tu ? L’avez-vous vu ? L’avez-vous vu ? Où es-tu ? L’avez-vous vu ? L’avez-vous vu ? L’avez-vous vu ?

    © Ismaël

    Un jeudi à quatorze heures.

     

     

  • 181107 

    Pour Z.

    Enlever le jour, sur soi. Cacher le soleil dans un puits. L’ensabler de pierres. S’allonger. Face à l’autre. Entre un homme et une femme. La nuit coule, les yeux fermés. Pudique, face à leurs nudités. Leurs corps. Leurs corps. De tremblements, et d’étonnements. Qui aurait pu imaginer. Qu’un sein pouvait tenir dans une main. Qu’une bite pouvait tenir dans une bouche. ? . Comme l’eau qui tient dans l’argile. Par miracle.

    Non.

    Par désir.

    D’habiter sa propre soif. Marginale.

    Cette nuit-là. Tu as habité ta soif en moi. Tu as dormi. Sous ma langue sèche et chaude. Tu m’as traversé. Ombre de chair. De terre. Soluble. Friable. Quand la fièvre se lève du corps. Quand elle se lève comme l’écorce d’un arbre. Et qu’elle te traverse. Matière en mue.

    © Ismaël

    Invisible.

    Traversant la mémoire rocailleuse d’une montagne. Aux côtés d’une fourmi. Perdue.

    Tu n’as allumé, aucun feu. Pour te réchauffer. Tu n’as partagé aucun pain avec hier. Ou la parole. En deuil. Il n’y eût pas de musique de mélodie. Pour la forêt. De chênes. D’eucalyptus. De pins… Tu t’es endormie. Depuis ma bouche. Jusqu’à mon oubli. Puis tu t’es levée de mon corps. Et tu es partie.

    En emportant.

    Le rêve que tu avais fait.

    Je ne me rappelle. Rien. De toi. Même lorsque je regarde l’étoile. Pousser son dernier souffle.

    Un dimanche à midi.

  • 180109

    On a jeté un homme en prison. Un homme sans nom. Un homme avec un visage. D’homme. Qui ressemble à l’eau. De tous temps, il nageait. La dernière fois, une barque passait au large, très loin, si loin, qu’elle était noire. Il avait cru que c’était une fourmi qui portait l’horizon à partager avec les autres fourmis. Il avait passé plus de temps dans l’océan que sur la terre ferme. On aurait dit une vague incarnée. Une vague qui ne quitte la mer que pour s’écumer au contact d’un autre corps. Il transpirait alors beaucoup. Mais sa sueur était douce. Il en arrosait les arbres et c’était la langue qu’il parlait avec eux, cette eau qui coulait de sa peau.

    On a jeté cet homme en prison. Ses cheveux étaient tressés. Ses cheveux étaient très longs, et très sombres. Presque aussi sombres que la couleur de ses yeux. Tressés, ils ressemblaient à un vol d’oiseau noir dans une nuit sans étoiles. Personne ne savait qui lui tressait ses cheveux. Mais on savait que ce n’était pas lui qui les tressaient. C’était une autre personne. Mais personne ne savait qui c’était, cette autre personne. On lui a rasé ses longs cheveux tressés le premier soir. Ils avaient repoussé et étaient tressés, le matin. On n’a pas su non plus qui les lui avaient tressés. On lui a rasé encore ses longs cheveux tressés le deuxième soir. Ils avaient repoussé et étaient tressés, le matin suivant. On n’a pas su qui les lui avaient tressés. On lui a rasé ses longs cheveux tressés pour la dernière fois. Ils avaient repoussé et étaient tressés, le matin. Evidemment, on n’a pas su qui les lui avaient tressés et on a arrêté de les lui raser. Ses longs cheveux sombres et tressés.

    Dans ce pays voyez-vous, les rues sont poussiéreuses. On raconte que le sable n’a jamais fait une mer renversée dans un œil perdu. Ça peut sembler étrange, c’est pourtant ce qu’on dit.

    © Ismaël

    Il n’a jamais regardé à travers les barreaux. Il a mit beaucoup de terre dans ses oreilles. Du temps avait passé ainsi, jusqu’à ce qu’il se transforme en boue.

    Du temps avait passé ainsi. Quand il est sorti de prison. Il a serré la main d’un gardien et craché par terre devant un autre gardien. Il a détressé ses cheveux et est rentré en mer, celle-là même en bas de la montagne. Il n’est pas revenu. Il a sans doute vécu le reste de sa vie en eau. Il était tout à fait capable de manger le poisson cru et de faire l’amour avec le reflet d’un nuage. Quand il est sorti de prison. On a jeté un autre homme en prison. Mais cet autre homme, c’est aussi une autre histoire.

    Un dimanche à treize heure.

     

  • 260609

    Juin. Le soleil transpire. Vacillent les matins dans la mémoire. Midi est là, sur les épaules. Je voudrais accompagner l’envol de l’eau, m’en venir pleuvoir sur ta fenêtre, ton visage. Midi est là, midi de juin. Midi massif et montagneux. Sous un autre soleil. Tu transpires, en coupant le bois de tes doigts. Sous un autre soleil, tu dors, buvant sa transpiration terreuse. Un autre soleil. Une autre ville. Une autre mémoire. Juin. Les mots sont perdus. Depuis le départ. Midi était là, comme celui-ci. Et tu n’étais pas là, comme ce midi. Que dire ? Que dire mon frère ? Le départ de toi : toi la ville, le café et la rivière dans ta bouche. Le vent dans les arbres, le gardien des livres, la main qui est une porte ouverte. Toi. Qui trouais la nuit du bout de tes cigarettes. Le départ depuis ta voix, ton visage, mon frère. Vers cette ville de midi. De vagues et de voiles noires. Depuis ta voix, ton visage, mon frère. Vers cette ville qui est la mienne, mais qui n’est pas la nôtre. Et ce soleil. D’eau et de ferraille. Soleil inépuisable de paroles et de pierres. Midi est là, sur les épaules.

    Que ton soleil soit ton enfant, mon frère. Que ses yeux se ferment dans ta chanson. Que ta ville soit un nuage noir dans la nuit. Que ses yeux se ferment dans une étoile de demain.

    Une mer raconte des histoires entre nos poitrines. Elle écume les mythes. Mer ombrée. Elle raconte des histoires entre nos poitrines mais je te serre entre mes bras, comme si je ne l’entendais pas. Mon frère, je te serre, dans mes bras maigres et mes veines saillantes, malgré la mer. Entre nos poitrines. Malgré la nuit noire et le sang, je te serre. Et je t’embrasse sur les yeux. Je t’embrasse sur la cécité, je t’embrasse sur la lumière, de tes yeux. Ta langue a brûlé. Ta langue a brûlé vive et ses cendres se sont éparpillées dans tes yeux. Que j’embrasse. Mon frère. Et je t’embrasse sur la bouche. Et je t’embrasse sur la plaie. Et je t’embrasse sur les crises d’angoisse. Et je t’embrasse sur la réalité que tu ramènes du rêve et de laquelle tu fabriques un nid de nuits blanches. Et je t’embrasse et je t’embrasse encore, jusqu’à plus soif dans l’absence et je t’embrasse encore sur la perte du corps jusqu’au suicide et je t’embrasse sur la mort mon frère de contre-sang. Je t’embrasse. Et je te parle de midi et de mer porteuse. Je te parle dans la roche et les arbres. Je te parle dans la langue brûlée vive de ton enfance, la langue éparpillée dans tes yeux. Je te parle dans la langue d’ordures et d’aubes et d’osier d’hier. Je te parle dans l’os déterré par un chien au cimetière des chiens. Je te parle dans ta bouche que j’embrasse et dans ta poitrine que je serre, mon frère de contre-sang. Et je te fais l’amour dans la maison close à la lune pleine et grosse comme une femme pleine et grosse de l’enfant, je te fais un amour inconnu des livres de grammaire et de religion. Je te fais l’amour inutile et exécrable des étincelles dans les arbres, l’amour des musiques dans la chair friable. Je te fais l’amour d’une poésie qui est un contre-sens de la poésie. Un amour que nous ne savons pas encore mais qui résonne comme un grillon dans les années passées et celles à venir. Un amour hagard, celui de la terre, celui se refusant à l’horizon. Un amour, celui de la terre emmenée sur le dos, la terre pliée au creux de la main, comme le drap de la première nuit de la première femme. La terre au goût de vague boueuse. Cet amour je te le fais, le loup chantera nos fiançailles et la fourmi construira notre maison. Je te le fais cet amour de corbeaux.

    Que ta volonté soit faite, mon frère. Sur les épaves de l’invisible et les histoires marines. Que le feu éteint dans la plaine réarme ses poumons de tes mains.

    Mon frère de contre-sang, de contre-soleil. Mon frère à l’envers de la fratrie. Mon frère d’averses. Mon frère d’images récoltées dans les flaques de minuit. Mon frère de no man’s land. Mon frère à la marge de moi. Mon frère de larmes. Mon frère des langages apatrides, mon frère bâtard des utopismes, mon âme-frère. Mon frère de contre-sang, mon frère de contre-abyme. Nous aurons la traînée d’étoiles laissée par tes cheveux pour alphabet de l’aurore. Remets hier dans l’arbre muet. Apprends encore une fois à marcher, renais-toi à ton corps. Apprends encore une fois ta mémoire. Ton corps a faim de ses vestiges. Remets-toi à marcher.

    Un vendredi.