© Sarah Troudi

L.

Histoire 1

Elle s’était mariée à un jeune homme de quelques années son aîné. Elle avait réussi sa vie : à 23 ans, elle était déjà mariée. Un mari auto-entrepreneur, beau garçon et qui de plus a une nationalité européenne, que demander de mieux ? Une fois mariée, les enfants sont arrivés très vite. De un, de deux et puis de trois. À la seconde grossesse, le médecin lui avait trouvé une petite masse dans l’utérus. Un fibrum lui a t-on dit. « Rien de bien méchant, mais on vous conseille de l’enlever ». Après consultation avec son mari, ils ont décidé de ne pas opérer. À quoi bon se mettre en danger avec une opération si ce n’est pas dangereux ? De toute façon nous ne pouvons pas nous permettre des opérations esthétiques internes. Ces questionnements se sont vite dissipés devant l’arrivée de leur troisième enfant. Ils voulaient trois enfants, et les voici à présent comblés. Cependant, après son dernier accouchement, son ventre a du mal à reprendre sa forme initiale. Elle demande à son mari de quoi se rendre chez le médecin pour voir ce qui ne va pas. « Tu fais tes besoins comme tout le monde, n’est-ce pas ? Tu n’as mal nulle part ? Alors fais du sport et un bon régime, tu n’as rien ! De toute façon en ce moment je me lance dans un projet important et comme tu le sais j’ai peu de liquidité ». Après plus d’une année où le sport et le régime accompagnent ses tâches ménagères quotidiennes, son ventre ne s’en porte pas mieux. Devant ce constat, son mari se rend à l’évidence et l’accompagne chez le médecin. C’est un cancer. Un cancer avancé. Une année après cette première visite chez le médecin, elle n’est plus.

Histoire 2

Elle s’était mariée à un jeune homme de quelques années son aîné. Elle avait réussi sa vie : à 23 ans, elle était déjà mariée. Un mari auto-entrepreneur, beau garçon et qui de plus a une nationalité européenne, que demander de mieux ? En fin de compte, ne pas s’être investie dans ses études n’a en rien détruit sa vie. C’est bien le temps qu’elle a consacré à se rendre belle qui lui a permis de trouver un compagnon si vite. Elle ne regrettait ni son absence de diplôme, ni son absence d’emploi. À quoi bon travailler si l’on arrive à se faire aimer de telle façon à ce que quelqu’un d’autre travaille pour nous ? Une fois mariée, les enfants sont arrivés très vite. De un, de deux et puis de trois. À croire que tout lui réussissait. Elle se plaisait à raconter à tous ceux qui voulaient l’entendre qu’on lui avait couru après à l’aéroport, un groupe de touristes étant convaincus qu’elle était Angelina Jolie. À la seconde grossesse, le médecin lui avait trouvé une petite masse dans l’utérus. Un fibrum lui a t-on dit. « Rien de bien méchant, mais on vous conseille de l’enlever ». Elle ne s’y connaissait pas bien en médecine mais elle pensait que si quelque chose se trouvait dans le corps humain c’est qu’elle y avait sa place. De toute façon son mari s’y connaissait bien mieux qu’elle. Il avait fait des études, lui. Après consultation avec ce dernier, ils ont décidé de ne pas opérer. À quoi bon se mettre en danger avec une opération si ce n’est pas dangereux ? De toute façon nous ne pouvons pas nous permettre des opérations esthétiques internes. Ces questionnements se sont vite dissipés devant l’arrivée de leur troisième enfant. Ils voulaient trois enfants, et les voici à présent comblés. Elle avait toujours voulu que ses enfants n’aient que quelques années de différence, afin qu’ils grandissent ensemble. D’un autre côté, c’était aussi bien pratique. Passée la période des couches et des nuits blanches, à elle la belle vie devant la télé pendant que les enfants seront à l’école. Cependant, après son dernier accouchement, son ventre a du mal à reprendre sa forme initiale. Le régime n’y fait rien. Et il est vrai qu’elle n’avait pas eu ce problème lors des deux premières grossesses. Elle demande alors à son mari de quoi se rendre chez le médecin pour voir ce qui ne va pas. C’était une demande un peu particulière, plus importante que la somme hebdomadaire allouée au hammam. « Tu fais tes besoins comme tout le monde, n’est-ce pas ? Tu n’as mal nulle part ? Alors fais du sport et un bon régime, tu n’as rien ! De toute façon en ce moment je me lance dans un projet important et comme tu le sais j’ai peu de liquidité ». Il devait avoir raison. Une maladie, ça a des manifestations externes. Il a sûrement vu ça durant ses études. Peut-être l’a-t-il lu dans le journal. Il lit le journal tous les jours. Après plus d’une année où le sport et le régime accompagnent ses tâches ménagères quotidiennes, son ventre ne s’en porte pas mieux. Tous les jours, pas moins de deux personnes l’abordent en lui souhaitant un accouchement réussi. Son ventre est tellement gros qu’elle passe pour une femme enceinte dans ses derniers mois de grossesse. Devant ce constat, son mari se rend à l’évidence et l’accompagne chez le médecin. C’est un cancer. Un cancer avancé. Une année après cette première visite chez le médecin, elle n’est plus.

Histoire 3

Quel soulagement ! Elle s’était mariée. Son mari n’était en plus que de quelques années son aîné. Plus d’inquiétude à avoir, elle avait réussi sa vie : à 23 ans, elle était déjà mariée. Un mari auto-entrepreneur, beau garçon et qui de plus a une nationalité européenne, que demander de mieux ? Toute la famille commentait : « Dieu a su compenser les malheurs de sa jeunesse ». Orpheline de père dès son très jeune âge, la voici qui conclut un mariage hautement estimé. En fin de compte, ne pas s’être investie dans ses études n’a en rien détruit sa vie. C’est bien le temps qu’elle a consacré à se rendre belle qui lui a permis de trouver un compagnon si vite. Et dans cette réussite, sa mère y est pour beaucoup. Celle-ci avait des directives très strictes, notamment une : « Ne pose jamais tes coudes sur la table, ça les noircit ». Aucune exception à cette règle n’était tolérée, pas même en salle de cours. La grande fierté de sa fille était de rentrer le soir à la maison et de voir que ses coudes étaient toujours aussi blancs et doux. D’ailleurs, elle ne regrettait ni son absence de diplôme, ni son absence d’emploi. À quoi bon travailler si l’on arrive à se faire aimer de telle façon à ce que quelqu’un d’autre travaille pour nous ? Sa maman lui avait aussi enseigné un vieux dicton arabe : « Le chemin vers le coeur de l’homme passe par son estomac ». Par conséquent, il fallait qu’elle apprenne à cuisiner. Dès ses 7 ans, elle avait un carnet où elle notait les recettes de cuisine que lui dictait sa mère. « Garde-le précieusement, ce sera ton dictionnaire dans quelques années ». Une fois mariée, les enfants sont arrivés très vite. De un, de deux et puis de trois. Quelle fierté pour sa mère ! Sa fille ne faisait pas partie de celles qui souffraient pour tomber enceintes. Sa mère avait entendu bien des histoires sur des maris qui répudiaient leurs épouses pour infertilité. Ce n’était pas le cas de sa fille. À croire que tout lui réussissait. Elle se plaisait à raconter à tous ceux qui voulaient l’entendre qu’on lui avait couru après à l’aéroport, un groupe de touristes étant convaincus qu’elle était Angelina Jolie. Sa mère relayait l’information à coups d’appels téléphoniques entre les différentes femmes de la famille. À la seconde grossesse, le médecin lui avait trouvé une petite masse dans l’utérus. Un fibrum lui a t-on dit. « Rien de bien méchant, mais on vous conseille de l’enlever ». Elle ne s’y connaissait pas bien en médecine mais elle pensait que si quelque chose se trouvait dans le corps humain c’est qu’elle y avait sa place. Du moins, c’est ce que lui avait appris sa mère. De toute façon son mari s’y connaissait bien mieux qu’elle. Il avait fait des études, lui. Après consultation avec ce dernier, ils ont décidé de ne pas opérer. À quoi bon se mettre en danger avec une opération si ce n’est pas dangereux ? De toute façon nous ne pouvons pas nous permettre des opérations esthétiques internes. Ces questionnements se sont vite dissipés devant l’arrivée de leur troisième enfant. Ils voulaient trois enfants, et les voici à présent comblés. Elle avait toujours voulu que ses enfants n’aient que quelques années de différence, afin qu’ils grandissent ensemble. D’un autre côté, c’était aussi bien pratique. Passée la période des couches et des nuits blanches, à elle la belle vie devant la télé pendant que les enfants seront à l’école. Elle aura plus de temps à passer avec sa mère à faire les boutiques et feuilleter les magazines de mode. Cependant, après son dernier accouchement, son ventre a du mal à reprendre sa forme initiale. Le régime n’y fait rien. Et il est vrai qu’elle n’avait pas eu ce problème lors des deux premières grossesses. Elle demande alors à son mari de quoi se rendre chez le médecin pour voir ce qui ne va pas. C’était une demande un peu particulière, plus importante que la somme hebdomadaire allouée au hammam. « Tu fais tes besoins comme tout le monde, n’est-ce pas ? Tu n’as mal nulle part ? Alors fais du sport et un bon régime, tu n’as rien ! De toute façon en ce moment je me lance dans un projet important et comme tu le sais j’ai peu de liquidité ». Il devait avoir raison. Une maladie, ça a des manifestations externes. Il a sûrement vu ça durant ses études. Peut-être l’a-t-il lu dans le journal. Il lit le journal tous les jours. Sa mère ne partageait pas forcément l’avis du mari mais elle en est resté au principe : c’est lui qui sait ce qui est bien pour les membres de sa famille. Après plus d’une année où le sport et le régime accompagnent ses tâches ménagères quotidiennes, son ventre ne s’en porte pas mieux. Tous les jours, pas moins de deux personnes l’abordent en lui souhaitant un accouchement réussi. Son ventre est tellement gros qu’elle passe pour une femme enceinte dans ses derniers mois de grossesse. Devant ce constat, son mari se rend à l’évidence et l’accompagne chez le médecin. C’est un cancer. Un cancer avancé. Une année après cette première visite chez le médecin, elle n’est plus.

Histoire 4

Quand on parle d’elle aujourd’hui, on pointe « son cancer ». Sa mort n’était pourtant pas la manifestation externe de son cancer, mais bien de notre cancer. Ce cancer qui fait qu’on remercie et complimente chaleureusement les rares dîners que fait mon père alors que ma mère ne reçoit qu’un « bon appétit » pour les trois repas qu’elle prépare quotidiennement.

Petits détails, petites tumeurs. De nombreuses petites tumeurs, c’est ce qu’on appelle un cancer de stade avancé.