Nous n’avons pas l’ambition de devenir critiques littéraires.
Nous n’avons pas non plus l’ambition de participer à hiérarchiser les littératures dans le but d’attribuer des prix, de faire des hommages, ou de se transformer en jury
Nous avons pour ce numéro, et pour quelques prochains décidé de nous exercer à la critique,
Mais du point de personnes qui ont vocation à produire des formes littéraires,
Et à construire des principes communs auxquels nous voulons être fidèles,
Ainsi qu’un territoire duquel nous nous réclamons.
Paradoxalement, nous espérons avancer à reculons,
C’est à dire en décortiquant l’effet que produisent sur nous des formes littéraires, des dispositifs esthétiques, ou des schémas d’interprétation ou de représentation du réel.
Nous trancherons ensemble si nous en voulons ou si nous n’en voulons pas.
Ce que nous rend impossible la représentation d’une frontière et des personnes qui doivent s’y soumettre, par un dispositif hybride, entre fiction et documentaire, qui décide de ne pas prendre position.
L’effet que produit une littérature qui bien qu’elle soit le lieu d’une inventivité formelle fascinante, ne dit rien de plus que le malaise spécifique de citadins bourgeois pour lesquels tout est vain.
Peut-on se permettre d’être exigent envers une voix montante de la littérature marocaine, surtout lorsque celle-ci prétend représenter les marges ?
Pouvons nous espérer être lucides quand nous évoquons nos mondes, à l’intersection des rêves et des cauchemars que nous portons.
Affirmer
Qu’on veut se débattre avec l’idée de vouloir représenter d’autres que soi
Se débattre avec les matériaux romanesques qui sont les nôtres, c’est à dire les matériaux ordinaires, ceux de n’importe qui,
Nous nous définissons à reculons
Et il ne s’agira plus pour nous de dire d’où l’on vient précisément
De dire “On veut discuter la littérature tunisienne, marocaine, parce qu’on serait tunisiens et marocains par exemple”
De dire plutôt :
“Nous voulons un territoire où la fiction n’est pas imposture”
« Nous voulons un territoire sensible dans lequel n’importe qui peut exister comme lui-même”
“ Nous ne voulons pas entendre brailler des nombrils dont le seul horizon est eux-mêmes”
“ On espère un langage retravaillé dans sa moelle, pour que des possibles y soient ouverts”
“ En substance on ne veut plus de ce français d’Afrique porté en étendard par des larbins qui exposent grammaire, orthographe et syntaxe, comme des biens en soi
“ un territoire sensible dans lequel n’importe qui peut exister comme lui-même”
Nous écrirons chacun à sa manière,
Et nous savons que nous ne voulons pas le faire seuls,
Parce que nous ne pensons pas que la littérature est affaire de subjectivités hors-normes portées en exemple.
Nous pensons qu’elle a besoin d’être portée par un travail collectif,
Qui nous aide à trancher en faveur des formes qui nous rendent plus forts
“A quoi alors pourrait-on mesurer la puissance d’une oeuvre, et partant sa valeur, sa vraie valeur de puissance,(…) A la manière dont elles induisent en nous plus de liaisons, dont elles nous aide à tenir plus de choses ensemble.” (Frédéric Lordon, La condition anarchique)
Un groupe qui aiderait à se défendre de dispositifs littéraires et de positionnements
qui font mal à des corps
qui affaiblissent
qui fabriquent soutiennent, et exportent des mondes sensibles qui sont les bases arrières de mondes mornes et assassins
Déceler par quoi ça passe ? sur quoi c’est assis ? quels effets ça fait? qui est ce que ça sert ? Qui est-ce que ça serre ?
C’est que dans cet exercice nous avons des amis, et à défaut, des ennemis.
Parce que ce n’est pas parce que c’est de l’art, que c’est inoffensif.
Kaoutar Chaqchaq.