Sous le chapiteau la nuit venait de tomber. Dehors aussi le manteau noir et la lune brillaient au dessus des vagues d’eau salées.
Un calme plat, un silence assourdissant gagnait l’esplanade.
La fête se préparait.
Nous avons franchi les remparts du bâtiment, cette vieille Kasbah des Gnaouas construite au début du 18 ème siècle, pour rejoindre le petit salon. Nous avons quitté nos chaussures et nous nous sommes assises sur les places libres des banquettes qui longeaient les murs de la salle.
Quatre hommes dansaient face au mur et dos à l’assemblée. Les musiciens étaient assis les long du mur, sur des tapis aux couleurs passées.
Après quelques instants, les hommes se sont retournés pour continuer leur danse vers l’assemblée.
Les photos et vidéos étaient interdites comme si tout cela devait rester dans le secret d’une transmission orale et pratique.
Puis la musique s’est arrêtée, l’assemblée s’est levée, chacun a remis ses chaussures aux pieds, et nous nous sommes dirigés vers l’entrée de la Kasbah. Là, tous en cercle derrière la grande porte en bois, un homme nous a distribué des bougies tandis qu’un autre passait avec un briquet pour les allumer. Les cuisinières sont venues poser des plateaux au sol. Les plateaux étaient remplis de petits bols qui contenaient des épices et d’autres choses que je n’ai pas su identifier. Une femme longeait les murs et bénissait les lieux en jetant de l’eau de fleur d’oranger sur le sol.
Les Gnaouas se sont remis à jouer et à danser. Nos corps commençaient à frémir, nos pieds à taper le sol entrainés par la musique. Puis nous nous sommes dirigés sous le chapiteau, nos bougies en mains, à la file indienne. Nous avons fait le tour de la piste, longé l’étendue de sable installée là, passé entre les cabanes de bois plantées par le décor, traversé les coulisses, et nous avons chanté.
Puis le cortège est retourné au fond de la Kasbah, là où l’obscurité de la nuit frappait les murs de terre rouge. Eût lieu le sacrifice de quatre coqs dans un endroit tenu secret où le terrain fait d’étranges trous comme des grottes dans le sol. Seuls les Gnaouas et quelques initiés avaient le droit d’être de ce moment. Nous ne pouvions partager les secrets de cet appel là.
De longues minutes plus tard, la musique retentissait au loin et nous faisait imaginer le sang des coqs imbibé par la sable ocre et les DJINS qui sortiraient dire Merci et fêter la nuit.
Le groupe est revenu vers nous. Je décidais d’assister au sacrifice de la chèvre qui aurait lieu derrière les cuisines. Les hommes se sont approchés d’elle en faisant résonner leurs percussions toujours plus fort. Plus la musique retentissait, plus l’animal paniqué entendait la mort arriver et essayait de se défaire de son lien. Au bout de quelques longues minutes, l’animal résigné accepta ses derniers souffles et calme se laissa prendre, bercé dans les bras, couché à terre, puis égorgé.
Le sang s’est répandu sur la dalle de béton et on voyait encore, la tête séparée du corps, se muer encore, les yeux interroger notre assemblée puis s’éteindre doucement.
On a quitté la place pour s’asseoir contre un autre mur, bercés par la sensation curieuse de vivre un moment étranger à soi. Un de ces moments là dont on se dit qu’on ne les revivra pas et qui portent la marques d’un rêve fait dans un demi-sommeil.
En tournant la tête, j’ai aperçu dans l’axe de mon regard un homme vider les intestins de l’animal et cela m’a parut un monde.
Le lendemain nous devrions faire face aux comportements inhabituels de quelques uns. La fatigue d’une nuit blanche ? Le premier amour trouvé sous la lueur de la lune ? Une communication inattendue avec les DJINS ? Il fallait attendre que cela passe et retrouver un nouveau coucher de soleil, une nouvelle nuit de sommeil.