Ignacio Villallón
© Ignacio Villallón

L’Édito 1 – Regards

Dans ce premier numéro, il y a une poignée de textes, derrière lesquels une poignée d’auteurs, qui se pressent. Chacun et chacune a tenté de dompter ces choses, qui empêchent celui qui vit avec le grand désir d’écrire, de passer à l’acte. Chacun(e) a eu ses empêchements singuliers, ses tracasseries. Nous nous sommes demandé(e)s : Comment trouver le temps d’écrire ? Comment décider de s’enfermer silencieusement, assis, ou couchés, et pendant des heures, peut-être écrire peu, ne trouver rien ? Par qui se faire lire ? Comment être précautionneux avec le texte en train de se faire ? Et qui d’entre nous pense d’ailleurs sans équivoque qu’il est une seule urgence dans laquelle verser, et c’est d’écrire ?

Pour nous mettre debout, nous avons commencé à nous raconter l’écriture, à parler de l’écriture ordinaire. Nous nous sommes dit, que le temps où nous écrivons, est un temps où nous avons le dos courbé, les membres passifs. Que nous y vivons des chaleurs muettes. Que nous nous y trouvons narcissiques, que nos dents claquent.

Nous nous disons cela, entre d’autres choses que les amis se disent.

Nous avons aussi été heureux, nous avons raconté tout le plaisir du texte, lorsqu’il se précise, lorsqu’il se reconnaît. Nous avons dit : C’est la joie des textes qui s’animent.

Ensuite nous nous sommes dit, qu’il serait bon d’avoir d’autres récits d’écrivains qui ne se posent pas encore la question de l’édition. Il serait bon de voir d’autres visages amis s’attabler avec nous, pour parler de ce qu’on fait tandis qu’on écrit, pour se dire que peut-être on ne fait rien, et que pourtant c’est quelque chose dont on ne se déleste pas. Nous vous disons cela, parce que parmi vous se trouvent sûrement quelques-uns de ces visages amis, désireux de nous rejoindre. Et surtout parce que ce sont nos questions élémentaires à la littérature, à nouveau ressassées : Es-tu si capitale ? Que peux-tu dans la réalité ? Devons-nous t’abandonner et nous adonner à d’autres choses qui pressent ? Et nous savons qu’elles pressent ces choses, parce que c’est elles qui nous donnent envie d’écrire.

Nous avons oublié de dire que nous écrivons

à partir de

Paris, entre autres, mais bon

de nos situations du Maghreb, d’Egypte, si l’Egypte n’est pas du Maghreb, s’il y a lieu de les distinguer

de la ville entre les deux plus grandes villes situées sur l’Atlantique, côte Ouest,

d’Afrique du Nord

du parking au Caire,

de la terrasse,

de la chambre où je suffoque Hay Nahda,

de la villa qui te cloître,

de l’après-midi qui ne tarit pas à Halfaouine,

de la manifestation où la main de l’amie, très moite dans la tienne disait restons, et disait partons tout à la fois,

Nous avons dit : il faut trouver des formes, à partir de ces situations-là. Il faut du jeu peut-être. Jouer avec tous ces regards qu’on porte les uns sur les autres, et ceux qui portent sur nous. Yeux magiques et yeux mornes,  qu’on ne peut en tous cas pas faire semblant de n’avoir jamais vus. On joue déjà voyez. Ils sont à notre surface, on les trouve dans notre ventre -les yeux- il nous arrive d’en avoir le souvenir, et parfois on les anticipe.

Mais de ces situations-là, devons-nous faire de la littérature ? Comme s’il ne s’agissait que de ça, de qui regarde et de comment, et comme si on pouvait changer quelque chose à ça, les yeux dans leurs trajectoires, avec de la littérature non instituée.

Lorsque nous cherchons à écrire, nous l’avons dit, c’est tout penchés sur nous-mêmes que nous sommes. C’est quelque chose de très intérieur, nous ne sommes alignés sur aucune virulence qui serait un devoir abstrait. Si toi, tu veux dire que tu as été amoureux de Mohammed et que Mohammed a perdu ses lunettes et sa canne dans un puits ou dans un ravin, ou broyés par un chauffard et que c’était la première fois que pour le guider tu lui as donné la main, et que voilà tout ce qui te brûle la paume, te creuse les cernes, depuis que tu as eu les mots à la bouche, nul ne pourra te dire, ravise-toi, ton texte n’est pas l’urgence que nous attendons.

L’urgence que nous attendons, c’est toi singulier faiseur de textes, qui a le goût de les faire truculents, broyant du noir, à tes images exactement. Et aussi toi, faiseur de poèmes et de nouvelles dans lesquels tu cherches autre chose qu’à te lamenter ; et toi ironique dans ton pamphlet où tu joues avec les évidences que nous connaissons sur les mondes berbéro-arabes, coptes, musulmans, juifs, druzes, dis-moi-ce-que-j’oublie-car-j’oublie-sûrement.

Dans le premier numéro, nous mettons à plat, il n’y a pas de thème. Nous n’unifions pas nos contenus car notre volonté dans l’immédiat n’est pas de nous placer par rapport à la littérature existante. Nous sommes loin du désir de faire avant-garde, aussi peut-être parce que nous ne sommes pas en mesure de dire (où est et où en est) la littérature produite à partir de situations maghrébines, moyen-orientales et interstitielles.  Nous n’avons pas tranché la signification présente des formes littéraires concernées par ces situations. Ni celle du personnage vraisemblable, ni de celui qu’on a troué, ni la langue paisible, ni la langue maladroite, ni celle qui dit l’absence d’autres langues maternelles ou que même la mère a abandonnées, pas plus que la transposition des dialectes et langues de rue dans le texte écrit. Nous ne tranchons pas encore. Nous nous mettons en attente. Nous voulons d’abord accueillir un foisonnement de textes. C’est ainsi que nous imaginons le premier acte de l’histoire d’Asameena.